
1. Etat du dossier
Au cours des 20 dernières années, il ressort de la quatrième enquête sur le baromètre linguistique une réduction de moitié de la part relative des Bruxellois qui prétendent eux-mêmes que leur niveau du néerlandais parlé est bon à excellent (lien avec Fiche1). En chiffres absolus, cela signifie qu’un quart de Bruxellois en moins est en mesure de mener facilement une conversation en néerlandais.
2. Connaissance du néerlandais: ‘offre’ et ‘demande’.
La migration joue incontestablement un rôle dans la connaissance du néerlandais. La majorité des Bruxellois qui viennent de l’étranger ne parlent pas la langue. Néanmoins, le tableau 1 montre que la baisse de la connaissance du néerlandais s’explique en premier lieu par la baisse de la connaissance des Belges. Tant les Bruxellois nés à Bruxelles, en Flandre qu’en Wallonie parlent le néerlandais avec nettement moins d’aisance que dans le BL3. Par contre, la connaissance chez les non-Belges, dont la plupart ont suivi un cours de néerlandais, a augmenté par rapport au BL3.
Néerlandais |
BL1 |
BL2 |
BL3 |
BL4 |
Belge |
39,1% |
31,8% |
26,9% |
17,4% |
°Bruxelles |
38,1% |
31,3% |
27,6% |
18,0% |
°Flandre |
81,1% |
73,1% |
80,5% |
69,8% |
°Wallonie |
19,1% |
18,6% |
17,4% |
6,9% |
UE |
14,6% |
12,9% |
11,8% |
13,7% |
Non-UE |
7,4% |
5,1% |
5,6% |
14,8% |
Tableau 1. Connaissance linguistique du néerlandais d’après la nationalité
Si on ne parle pas le néerlandais à la maison, on apprend généralement la langue dans l’enseignement. Le tableau 2 indique dans quelle mesure les personnes interrogées, qui avaient entre 18 et 30 ans au moment de l’enquête et suivaient les cours dans l’enseignement secondaire francophone à Bruxelles et en Wallonie, maîtrisent le néerlandais. Il faut évidemment faire preuve de prudence avec l’interprétation de ces données, étant donné que l’on ne connaît pas le contexte dans lequel ces Bruxellois parlent le néerlandais en dehors de l’école, mais les chiffres indiquent néanmoins une évolution négative. Moins de 10% des jeunes Bruxellois qui suivaient l’enseignement en français ont un niveau bon à excellent du néerlandais.
Connaissance du néerlandais |
BL1 |
BL2 |
BL3 |
BL4 |
Enseignement francophone Bruxelles |
20,0% |
12,6% |
11,7% |
7,8% |
Wallonie |
14,1% |
22,9% |
11,6% |
8,9% |
Tableau 2. Connaissance linguistique d’après le contexte d’enseignement (18-30 ans)
Toutefois, une baisse de l’ ‘offre’ s’oppose à une augmentation de la ‘demande’. Ce qui s’exprime notamment dans la demande d’un enseignement primaire bilingue. Bien que l’enseignement bilingue est un instrument qui peut couvrir de nombreux besoins, les chiffres démontrent un sentiment d’insatisfaction par rapport à l’actuelle politique en matière d’enseignement. Près de 90% des Bruxellois sont favorables à cette forme d’enseignement, indépendamment de leur contexte linguistique.
La raison de l’apprentissage du néerlandais est plutôt d’ordre pratique: à Bruxelles, le néerlandais est un atout important sur le marché du travail. Le tableau ci-dessous donne un aperçu du profil linguistique des chômeurs interrogés, quelles que soient leurs autres qualifications. Lors de la première enquête déjà, 80% des chômeurs ne connaissaient pas le néerlandais, chiffre qui est actuellement passé à près de 90%. 5% seulement des chômeurs parlent néerlandais et français et les trilingues présentent le risque de chômage le moins élevé.
|
BL1 |
BL2 |
BL3 |
BL4 |
Pas de français |
5,9% |
6,4% |
17,8% |
19,7% |
Pas de néerlandais |
80,6% |
80,7% |
91,5% |
90,9% |
Pas d’anglais |
71,9% |
68,7% |
84,6% |
82,2% |
Pas de français/néerlandais/anglais |
5,5% |
5,2% |
15,1% |
15,3% |
Bilingue néerlandais/français |
7,5% |
11,3% |
2,0% |
5,0% |
Bilingue français/anglais |
16,6% |
18,1% |
8,3% |
13,2% |
Trilingue français/néerlandais/anglais |
11,7% |
12,0% |
5,2% |
2,1% |
Tableau 3. Connaissance linguistique des chômeurs
Enfin, 70% des Bruxellois sont convaincus que le bilinguisme constitue la base de l’identité bruxelloise, 80% estiment qu’il est important de connaître le néerlandais et il y a même une majorité pour trouver que la connaissance du néerlandais est plus importante que celle de l’anglais.
3. Un nouveau paradoxe bruxellois?
Il importe donc de se demander pourquoi la demande du néerlandais augmente et pourquoi sa connaissance est également déterminante pour la position sur le marché du travail, alors que sa connaissance est en baisse. Bien que le baromètre linguistique en tant qu’instrument entend donner une idée générale et ne peut pas approfondir les différents aspects du problème linguistique, une série d’éléments donnent néanmoins une ébauche d’explication possible. Il est évident que l’enseignement joue un rôle prépondérant en la matière, mais ce n’est pas le seul élément qui explique cette baisse.
Une partie de l’explication concerne la perception de la langue. A la question de savoir avec quelle catégorie les Bruxellois peuvent s’identifier le moins, 68,2% de ceux qui ne viennent pas d’une famille où le néerlandais est parlé à la maison répondent ‘néerlandophone’ ou ‘flamande’. C’est surtout l’augmentation de la perception négative du néerlandophone qui surprend: de 3,1% dans le BL2 à 19,4% dans le BL3 et 30,7% dans le BL4. La polarisation politique peut aussi avoir un impact, comme le prouve la perception négative des Bruxellois provenant de famille néerlandophones unilingues vis-à-vis des ‘Wallons’. Alors que le ‘Wallon’ n’avait aucune connotation négative pour eux dans le BL2 (seulement pour 0,8% d’entre eux), ce chiffre est subitement passé à 24,2% dans le BL3 et même 43,8% dans le BL4. Il est difficile de savoir dans quelle mesure cette perception mutuelle détermine les chiffres relatifs au néerlandais, mais il est certain que cela a eu un impact. Non seulement la perception négative peut avoir un impact, mais l’importance de la langue sur le marché du travail peut aussi faire comprendre que l’on doit évaluer la propre connaissance linguistique avec moins d’optimisme.
Un troisième élément explicatif concerne la migration et les déménagements. Bien que la langue soit rarement un élément déterminant pour l’évolution démographique, elle joue néanmoins un rôle indirect. Parmi ceux qui déménagent de la Flandre vers Bruxelles, 40% viennent actuellement d’une famille unilingue néerlandophone, tandis que le reste vient principalement d’une famille unilingue francophone et dans une moindre mesure, d’une famille traditionnellement bilingue. On peut supposer à l’inverse que quelqu’un qui connaît le néerlandais sera plus facilement tenté de déménager en Flandre. Le fait que ce sont surtout les familles des classes moyennes qui échangent la ville pour la grande périphérie et qu’il existe un lien évident entre la connaissance du néerlandais et la position sur le marché du travail laisse supposer que quitter la ville est ‘plus néerlandophone’ qu’y entrer. Cela correspond également à la perception des villes comme ‘machines d’émancipation’ où les nouveaux arrivants se retrouvent dans des quartiers défavorisés, mais grimpent progressivement sur l’échelle sociale et aboutissent en périphérie de la ville dans leur recherche d’un habitat et/ou d’un meilleur emploi plus approprié, de sorte qu’ils cèdent à leur tour la place à d’autres nouveaux arrivants. Un suivi des personnes qui suivent des cours de néerlandais permettrait de cartographier cette possible dynamique.